Excellence Monsieur l’ambassadeur du Rwanda à Bruxelles,
(Excellences Messieurs les ambassadeurs),
Honorables Sénateurs et Députés,
Honorables diplomates,
Distingués invités, Mesdames et Messieurs en vos titres et qualités,
Souviens-toi. Souvenons-nous. Souvenons-nous. Sans arrêt ! A perpétuité !
Certains parmi nous ici ont subi les pires atrocités au cours de l’extermination programmée des Tutsi au Rwanda en 1994 et ont eu la chance inespérée de revenir petitement à la vie souvent comme par miracle… Chacun d’entre nous ici a perdu les siens et des proches, génocidés pour ce qu’ils étaient (+ de 99% du million de personnes sauvagement suppliciées et tuées) ou massacrés parce qu’ils constituaient des obstacles à l’entreprise génocidaire du Hutu Power (des supposés opposants Hutu au Hutu Power, les dix casques bleus Belges). Toutes et tous ici présents, nous avons perdu une part de notre humanité lors du génocide commis contre les Tutsi au Rwanda en 1994 par le Hutu Power et ses complices.
Souviens-toi. Souvenons-nous. Souvenons-nous. Sans arrêt ! A perpétuité ! C’était, sans distinction aucune, des hommes et des femmes dans la force de l’âge, des jeunes gens et jeunes filles en fleurs, des personnes âgées, des enfants, des bébés et même des foetus.
Hagards, traumatisés, transis d’angoisse et de froid, affamés, déshumanisés et traqués comme du gibier, comme des bêtes, dans les habitations et les abris, dans les fourrées et buissons, dans des champs de maïs et de sorgho, de cafés et de thé, à travers la savane boisée et les clairières, dans les forêts d’eucalyptus et les plantations de
bananiers, dans les tranchées, les marécages et les marais de papyrus, machettés sous un soleil insolent sur les routes et les chemins bordés de fleurs à coloris multiples et naturels, sur des sentiers habituellement hospitaliers du Rwanda, parqués dans les fourrières et dépecés en morceaux comme dans un abattoir d’animaux, jetés vivants dans des latrines, les charniers et les rivières, violés par des sadiques en furie, cachés dans les plafonds et les églises-mouroirs….
Souviens-toi ! Souvenons-nous. Souvenons-nous. Sans arrêt ! A perpétuité !
Nous nous souvenons. Et nous perpétuons votre mémoire pour célébrer votre dignité de victimes innocentes d’une clique de néo-Nazis africains.
Le Rwanda est tombée dans les abysses comme il ne l’a jamais été, pendant ces 100 jours de carnage d’un peuple vaillant et millénaire, doté d’une civilisation exceptionnelle dans ses conceptions de la vie politique, sociale et spirituelle.
Souviens-toi. Souvenons-nous. Souvenons-nous. Sans arrêt ! A perpétuité ! Mais sans insulter l’avenir ! Car le jour se lève et un arc-en-ciel colore le ciel matinal ! ‘Nous existons encore’…
La civilisation ancestrale de l’harmonie sociale tout comme celle qui se construisait à la fin de la colonisation se sont complètement fissurées, ont été quasi anéanties et ont été reléguées dans un tiroir ou un trou quasi étanche par des apprentis-sorciers, avides de pouvoir total et nourris par des conceptions religieuses et philosophiques néantisant l’autre ou imaginant l’autre comme un ennemi mortel…
Nous perpétuons votre mémoire, vous qui en avez été les victimes plus qu’innocentes ainsi que toute votre descendance. Mais en même temps nous nous inclinons devant votre courage, votre bravoure et votre magnanimité, vous qui avez résisté tant que faire se peut, vous qui avez parfois stoïquement et vaillamment accepté la mort et quelle mort ! ou le viol pour sauver vos enfants ou vos proches.
La civilisation ancestrale n’a pas été complètement anéantie. Mis au bord du précipice et jeté en partie dans ce précipice par ses propres enfants enchaînés aux concepts occidentaux, le Rwanda a été sauvé par des preux Rwandais et Rwandaises dont on chantera les exploits de génération en génération.
Malgré la souffrance indicible et le désarroi des survivantes et des survivants, le Rwanda a pu renaître de ces cendres dès la première année post-génocide et s’est mis pratiquement tout seul debout en comptant d’abord sur le génie de son peuple ! Il eut fallu comme au cours de cette décennie, pour atténuer les conséquences du tsunami ou des grands séismes, une conférence internationale des donateurs de la communauté internationale pour redresser le Rwanda…Mais apparemment, rien de cela ne s’est produit pour la reconstruction du Rwanda. Aussi peut-on avancer qu’actuellement, les catastrophes naturelles ont plus d’impact sur la conscience des peuples que les génocides…Ainsi va le monde. Mais ce n’est pas encore trop tard, la communauté internationale, surtout certains pays au lourd passé au Rwanda peuvent toujours s’amender ou réparer ce qu’ils ont contribué à détruire.
Mais ‘Quel grand peuple, quelle bravoure !quelle magnanimité !ces Rwandais !’
s’exclamait dans cette salle le président de Cirimoso en 2004 ! Quel extraordinaire ressort, fruit de sa sagesse millénaire ! Le Rwanda est debout et de plus en plus tout droit, depuis le 04 juillet 1994 ! Nous pouvons en être fiers même si quelques blessures restent encore béantes et à soigner au sein de la population meurtrie et de la population meurtrière.
Souviens-toi. Souvenons-nous. Souvenons-nous. Sans arrêt ! A perpétuité ! Mais sans insulter l’avenir !
Que le Souvenir soit un tremplin et une force ! Le Rwanda est debout et doit rester debout, de plus en plus debout ! Et ce Rwanda, c’est nous (toi, moi, il ou elle) qui sommes ici présents et celles ou ceux qui, peut-être enfermés dans leur douleur ou vaincus par elle, ne parviennent pas encore à redresser la tête et appellent au secours.
Notre rôle est d’être auprès de toutes celles et de tous ceux qui ont été affaiblis par le vécu du génocide et peinent à remonter la pente du quotidien actuel. Nous n’avons pas seulement le devoir et le travail de mémoire. Il incombe à toutes les Rwandaises et à tous les Rwandais avec l’aide d’autres peuples et des personnes de bonne volonté de réhabiliter, par la Justice et par la Réparation, les personnes déboussolées, traumatisées, psychosomatiquement atteintes par toutes les horreurs vues ou vécues pendant le génocide ; c’est ainsi que nous participerons à leur résilience et à la nôtre également et que nous recomposerons ou réparerons le tissu social complètement déchiqueté par le génocide commis contre les Tutsi au Rwanda en 1994. Le Rwanda peut compter en cette matière, je présume, sur des pays amis du monde entier dont la Belgique (qui est un des rares pays européens à avoir organisé déjà 4 procès d’assises pour juger les présumés génocidaires après avoir demandé pardon au peuple rwandais-ce qui est très estimable et est un soutien à la résilience des victimes survivantes). C’est ainsi que nous pouvons créer des conditions pour qu’une récidive, toujours possible, de cette monstruosité ne puisse trouver un terrain propice ou une issue à ses idées démoniaques pour se répéter au Rwanda ou ailleurs dans le monde.
Souviens-toi. Souvenons-nous. Souvenons-nous sans arrêt pour perpétuer la mémoire des victimes dont du reste nous faisons partie toutes et tous non seulement comme issu(e)s de la communauté génocidée, mais simplement comme êtres humains.
Souviens-toi. Souvenons-nous. Souvenons-nous sans arrêt ! A perpétuité ! mais en même temps redressons la tête, redressons la tête et entourons de tendresse, d’amour et de soutien matériel toutes les victimes paumées suite au génocide qui nous a tous frappés, afin que notre civilisation ancestrale et future reprenne le dessus et redonne sa dignité et son respect à tout être humain et que l’harmonie des coeurs chasse de jour en jour la haine et l’autodestruction.
Je vous remercie.
Gakumba Albert