Par Jean-Philippe Schreiber
La vie au temps de la chose, mardi 11 août. Imaginez. Il y a un incendie. Vous feriez appel aux pompiers, n’est-ce pas ? Eh bien non, ils ont fait appel, pour éteindre le feu, au pyromane plutôt qu’aux pompiers. Où cela se passe-t-il ? En Belgique.
Explication… Dans la foulée du meurtre de Georges Floyd, des statues déboulonnées et des débats sur le racisme et la décolonisation, la Chambre des Représentants a mis sur pied une commission d’enquête parlementaire sur la colonisation du Congo, du Rwanda et du Burundi, dont les travaux, essentiels en termes de mémoire collective, doivent débuter en octobre prochain.
Les tractations politiques ont été ardues, afin de constituer le groupe d’experts qui va plancher sur ces questions. L’enjeu est délicat, particulièrement au sujet des responsabilités idéologiques de la Belgique coloniale et post-coloniale, lesquelles ont notamment conduit à la structuration d’un véritable régime d’apartheid au Rwanda. Les forces politiques qui depuis l’Indépendance ont soutenu la discrimination raciale au bénéfice des Hutu et surtout porté à bout de bras le gouvernement génocidaire rwandais responsable de l’abomination de 1994 sont encore très actives en Belgique, en particulier en Flandre.
Elles poursuivent jour après jour leur travail de sape pour relégitimer les « nazis tropicaux », absoudre leurs crimes et anathémiser le pouvoir actuel en place à Kigali, celui qui pourtant a mis fin au génocide en juillet 1994.
En octobre dernier, elles avaient réussi à organiser une tournée de conférences, dans plusieurs universités flamandes, d’une journaliste canadienne connue pour ses thèses révisionnistes. En juillet, elles ont remis le couvert en tentant de faire figurer dans la liste du groupe d’experts de la commission d’enquête parlementaire sur la décolonisation, un professeur d’université et un journaliste flamands connus depuis longtemps pour épouser semblables thèses révisionnistes et s’en faire d’ardents propagandistes. Elles y ont finalement échoué, pour ces derniers jours parvenir malgré tout à faire nommer au sein du groupe d’experts une candidate CD&V aux élections communales de 2018, ancienne secrétaire générale de l’association Jambo.
Cette association est très proche de la démocratie chrétienne flamande, et véhicule un négationnisme sournois à propos du génocide commis contre les Tutsi. Plutôt que nier les faits, ce qui pourrait tomber sous le coup de la loi, elle les dilue complètement, de manière à ce que les forces militaires tutsi qui ont libéré le pays en 1994 apparaissent comme auteures d’un prétendu génocide contre les Hutu et instigatrices du véritable génocide, celui reconnu par la communauté internationale.
C’est un travestissement honteux des faits, une manipulation, une théorie qui ne résiste absolument pas à tout ce qui a été depuis vingt-cinq ans étayé par les historiens. Cependant cette thèse proprement négationniste, qui exonère les vrais coupables, est défendue par ceux qui ont été aux côtés voire les complices des responsables du génocide avant le printemps 1994, pendant celui-ci et après l’accomplissement du crime, et continuent à œuvrer pour incriminer sans relâche le régime politique de Paul Kagame, l’actuel président rwandais.
L’association Jambo est un relais essentiel de ce discours honteux, et sa proximité avec la démocratie chrétienne flamande lui permet désormais de figurer au sein de la commission d’enquête parlementaire sur la colonisation. C’est un peu comme si après la Seconde Guerre mondiale vous aviez intégré des sympathisants du régime de Vichy dans une commission chargée de faire la lumière sur l’antisémitisme nazi… Le travail belge de la mémoire continue de hoqueter, et même de déraper. J’avoue que ne suis même pas surpris de cette nouvelle indignité, de cette farce politique navrante et de cette gifle au visage des survivants des massacres du printemps 1994.
Le génocide est un crime contre l’humanité qui, inlassablement, se perpétue dans son odieuse négation.
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