Distingués invités en vos titres et qualités
Mesdames et Messieurs les Parlementaires
Chers frères et sœurs rescapés du génocide contre les Tutsis
Mesdames, Mesdemoiselles, Messieurs,
Permettez-moi de commencer cette prise de parole par des remerciements, ce geste ô combien important dans notre vie quotidienne.
Mes remerciements s’adressent particulièrement à Monsieur LOUIS MICHEL, Ministre d’Etat et Député Européen qui a accepté volontiers de parrainer ce colloque, ainsi que son équipe qui sans relâche a contribué à sa préparation. Monsieur Louis Michel, aurait aimé se joindre à nous pour procéder à l’ouverture officielle de ce colloque, mais il n’a pas su le faire pour des raisons d’agenda, mais comme vous l’avez remarqué, il s’est fait représenter par son équipe dirigée par Madame Bénédicte Van Den Berg. Veuillez bien Madame Van Den Berg, accepter de transmettre nos compliments à Monsieur Louis Michel.
C’et donc au nom d’Ibuka Mémoire et justice que je tiens à lui exprimer notre profonde gratitude et à lui réitérer notre franche collaboration.
De tout cœur, je tiens à lui dire merci. Merci d’avoir accepté de nous accueillir dans ce lieu hautement symbolique, eu égard à la thématique qui nous réunie aujourd’hui.
A vous toutes et à vous tous qui avez répondu présent à ce rendez-vous, pour enrichir cette journée de réflexion et partager avec nous vos opinions sur cette importante thématique, je dis merci.
Mesdames, Mesdemoiselles et Messieurs,
Chers participants à ce colloque, en vos titres et qualités
Nous voici 24 ans déjà, après le génocide commis contre les Tutsis du Rwanda, un génocide commis au vu et au su de tout le monde, particulièrement en présence de la communauté internationale, qui pourtant, avait juré que plus jamais un tel acte ne doit se reproduire.
Il s’est pourtant reproduit, perpétré par des humains comme vous et moi, soutenus par des humains comme vous et moi (si on peut l’admettre comme ça), et les faits parlent d’eux-mêmes. Pas besoin d’explications ni de démonstration.
Ce génocide est en effet actuellement avéré, il ne devrait pas faire l’objet d’un quelconque débat d’identification, ni d’aucune forme de négation, de banalisation, ou de minimisation, car il a été juridiquement et historiquement reconnu. Particulièrement par les juridictions nationales et internationales, les seules habilitées à trancher légalement sur cette question.
Parmi elles figure le Tribunal Pénal International pour le Rwanda (TPIR), créé par le Conseil de Sécurité des Nations Unies dans sa Résolution 955 du 8 novembre 1994 pour juger les auteurs de ce génocide, et plus précisément dans son jugement du 16 juin 2006 [ICTR-98-44-AR73(C)], où il a affirmé que ce crime est un fait de notoriété publique qui n’est plus à démontrer.
Mesdames, Mesdemoiselles et Messieurs,
Ces derniers temps, on assiste pourtant à une prolifération d’actes de négation de ce génocide, de la part des individus ou groupes d’individus, rwandais et non rwandais, simple citoyens, académiciens, journalistes, et j’en passe, qui veulent remettre en cause cette vérité historique, pourtant basée sur une jurisprudence abondante.
En la matière, le Cardinal Godfried Danneels, nous apprend qu’il y a plusieurs façons de nier le mal:
- Soit on essaie de le rationaliser, en disant que tout peut se comprendre et se réduire à une erreur;
- On peut essayer de l’universaliser, en disant que tout le monde le fait et tirer la conclusion que bref ce n’est pas un mal ;
- Ou bien on peut le refouler, c’est-à-dire ne pas vouloir le reconnaître;
- Ce qui est pire, c’est qu’on peut aussi le rendre impossible en interdisant ou en abolissant la loi qui était sensé le punir.
En ce qui concerne la négation du génocide commis au Rwanda contre les Tutsis en 1994, le constat est sans appel, elle ne déroge pas à cette dernière règle :
Sa pénalisation reste encore absente de la législation belge, malgré les diverses quêtes et sollicitations de la part des rescapés, et en dépit des différentes propositions de lois déposées par certains Députés (dont celle en cours, déposée par Monsieur Gilles Foret, Député MR au Parlement fédéral belge).
Force est de rappeler qu’IBUKA MÉMOIRE ET JUSTICE a organisé plusieurs conférences, pour débattre de cette problématique, et la dernière en date remonte à mars 2016.
A chaque fois, le constat des experts est unanime: « La négation du génocide anti-tutsi est une réalité en Belgique et sa pénalisation est une nécessité« .
Pourtant, beaucoup de pays européens on mit en place des lois permettant de sanctionner la négation de la Shoa.
À travers la Décision-cadre 2008/913/JAI du Conseil européen du 28 novembre 2008, un droit européen a été élaboré, pour combattre le racisme et la xénophobie, imposant ainsi à plusieurs Etats membres, de réprimer le négationnisme de génocide et d’autres crimes de masse, y compris à mon avis le génocide contre les Tutsi.
Dans le même esprit, la loi votée en date du 23 mars 1995 envisage de réprimer, en Belgique, la négation, la minimisation, la justification ou l’approbation du génocide commis par le régime national-socialiste allemand, pendant la Seconde Guerre mondiale. Une loi qui devrait être étendue à d’autres génocides reconnus par la communauté internationale.
Un projet de loi belge pénalisant la négation du génocide contre les Tutsi est actuellement en cours d’examen au Parlement et devrait voir le jour d’ici peu, à ce que nous espérons, car il est basée sur une jurisprudence suffisante et abondante.
Un projet de loi qui est plus que nécessaire, car non seulement la négation de ce génocide est un déni de justice et un assassinat de la mémoire des victimes, mais aussi, la non-pénalisation de celle-ci risque d’aboutir à une habilitation, une réhabilitation, une consécration ou une importation en Belgique, d’une idéologie raciste, divisionniste et génocidaire, qui porteraient atteinte à la sécurité et à l’ordre public. La négation du génocide en cause alimente, en effet, radicalisme et rejet de l’autre, avec les conséquences incalculables que l’on entrevoit déjà.
Ce projet de loi qui aux yeux de beaucoup semble très nécessaire et opportun, il fait objet de peur et d’inquiétude chez d’autres personnes qui y voient un danger potentiel.
En effet, les contempteurs de cette pénalisation avancent comme arguments, que la loi mettrait à mal ou en péril le principe démocratique fondamental de la liberté d’expression; certains d’entre eux mettent en avant la liberté d’écriture de l’histoire qui (selon eux) ne devrait être gérée, ni par le monde politique, ni par le monde judiciaire. D’autres y voient une censure intellectuelle qui serait indigne d’un pays libre et démocratique.
Mais c’est réellement procéder à des restrictions mentales, et feindre d’oublier que la pénalisation d’un génocide n’est en aucun cas une violation du droit à la libre expression, ni un frein à la liberté d’écriture de l’histoire.
Une telle pénalisation est mise en place pour limiter légalement, la liberté d’inciter à la haine raciale et à la violence. Il s’agit d’une interdiction légale de la discrimination raciale.
Force est de préciser que ce qui est poursuivi pénalement dans le cas de la négation d’un génocide n’est pas la différence d’opinion, mais plutôt le comportement délinquant d’un individu qui, sous la couverture d’une liberté d’expression, serait tenté d’inciter à la haine, au crime quelle qu’il soit et éventuellement au génocide.
La monté des nationalismes et du radicalisme que nous vivons actuellement est là pour nous le prouver.
Voilà pourquoi IBUKA Mémoire et Justice a voulu organiser ce colloque, pour débattre de l’importance de pénaliser la négation du génocide des Tutsi en Belgique.
Le présent colloque se propose de contribuer à l’ouverture d’un espace de réflexion sur l’impact positif de la pénalisation du génocide en général, et de celle du génocide perpétré au Rwanda contre les Tutsis en 1994 en particulier.
Les interventions des experts et les échanges avec le public permettront d’identifier les outils, les mécanismes, les stratégies et les instances nécessaires pour la mise en place d’une loi juridiquement et socialement bétonnée, permettant de colmater les lignes de fracture identifiées par le Professeur Geoffrey Grandjean de l’Université de Liège, dans son analyse sur la répression du négationnisme en Belgique[1].
Plusieurs questions restent encore posées auxquelles tenteront de répondre les intervenants :
- La pénalisation d’un génocide est-elle réellement un obstacle à la libre expression ?
- La pénalisation d’un génocide est-elle vraiment un obstacle à l’écriture de l’histoire ?
- La pénalisation du génocide des Tutsi est-elle un handicape à l’unité et à la réconciliation entre les rwandais comme le présentent certains ?
- Est-elle vraiment un handicape au processus du vivre ensemble entre les rwandais ?
- Faut-il nécessairement éviter cette pénalisation pour garder une certaine neutralité entre les deux groupes ethniques concernés ?
Ce dernier point m’amène d’ailleurs à évoquer un fait d’actualité qui ne manquera pas de ressurgir dans nos débats. Celui de la chroniqueuse française Natacha Polony, qui lors d’un débat avec Raphael Gluckzman, ne s’est pas gêné de qualifier de salauds face à d’autres salauds, les deux protagonistes du génocide contre les Tutsis (càd les bourreaux et les victimes), rappelant l’expression de François Mitterrand en pleine génocide des Tutsis, qui disait que le génocide dans ces pays-là n’a pas d’importance.
Je voudrais sans aucun détour, rappeler qu’il n’y a pas de neutralité en matière de criminalité. Il y a d’un côté le bourreau qu’il faut condamner, et d’un autre côté la victime qu’il faut protéger. Le contraire n’est qu’un jeu de dupe.
Toutes ces questions évoquées en haut et d’autres que vous-mêmes allez probablement soulever, vont être abordés et discutées avec les experts que nous avons sélectionnés, et les réponses qui seront apportées pourront alimenter les débats sur le projet actuel, afin d’appuyer son adoption et renforcer son application.
C’est sur cette conclusion que je déclare ouvert ce colloque et vous souhaite d’excellents travaux.
Je vous remercie.
[1]Geoffrey Grandjean. La répression du négationnisme en Belgique : de la réussite législative au blocage politique. Droit et société, 2011/1 (n° 77), p. 137-160.